Mourir loin de chez soi pour une poignée d’euros

15/11/2018
ELA dénonce l’entreprise de Saint Sébastien, Eraiki Prest, après le décès suite à l’accident mortel du travail, en Allemagne, d’un opérateur portugais qui résidait en Gipuzkoa. Le reportage sur le sujet figure au dernier Landeia.

ELA a déposé deux plaintes contre l’entreprise de Saint-Sébastien, Eraiki Prest, par devant l’Inspection provinciale du travail et de la Sécurité sociale et le Département pour l’emploi et la politique sociale du Gouvernement basque après l’accident de travail mortel le 3 septembre, d’un travailleur portugais résidant en Gipuzkoa. La personne décédée et quatre autres compagnons – deux algériens et deux marocains- s’étaient déplacés depuis Saint-Sébastien jusqu’à Merkendof, en Allemagne, pour installer des panneaux solaires. L’entreprise Eraiki Prest avait été sous-traitée par Enova Cosntruction CVBA pour réaliser ce travail.

Le travailleur décédait après une chute de 15 mètres. Une photographie de lui sur le toit, une demi-heure avant l’accident mortel, montre bien qu’il travaillait sans aucune mesure de sécurité : ni filet, ni barrières, ni lignes de vie.

Les cinq travailleurs mandatés en Allemagne – un portugais, deux algériens et deux marocains- partaient de Saint-Sébastien le 1 septembre en fourgonnette et arrivaient en Allemagne à l’aube du 3 septembre. Après cinq heures de sommeil à peine ils contactaient un représentant de l’entreprise Enova – contractante de Eraiki Prest- et prenaient un petit déjeuner avant d’être envoyés à la ferme où ils devaient remplacer les tuiles par des plaques solaires. “On leur a dit de monter sur le toit sans prendre aucune mesure de sécurité, –explique Igor San José, responsable du secteur construction de ELA–. De fait, ils ont pris des photos à titre de preuves”. Deux heures plus tard, le travailleur portugais tombait d’une hauteur de 15 mètres et décédait. À partir de là les choses se précipitent. “Le représentant de l’entreprise éloignait les quatre autres travailleurs déplacés, les emmenait dans l’appartement où ils devaient loger et le 5 septembre ils arrivaient à Saint -Sébastien en train”. Ils ont été éloignés au plus vite pour empêcher qu’ils ne déclarent ni dénoncent les irrégularités de l’ouvrage.

Soutenus par ELA

Une fois de retour en Euskal Herria, ces travailleurs ont contacté ELA pour dénoncer les faits et demander le soutien du syndicat. “Ils avaient peur et étaient bouleversés par la mort de leur compagnon”, explique Igor qui considère incontournable une enquête tant en Euskadi qu’en Allemagne et que les entreprises doivent être condamnées pour que des faits semblables ne se reproduisent plus ni restent impunis.

Au retour d’Allemagne ces travailleurs étaient totalement désemparés, émotionnellement et économiquement, et ELA leur a apporté son soutien à tous les niveaux pour qu’ils puissent déclarer et que soient déterminées les responsabilités. “Les cinq travailleurs avaient accepté d’aller travailler en Allemagne sous de fausses promesses : bon salaire, frais de séjour et per diem. Mais dès leur arrivée il leur était annoncé qu’ils ne seraient payés que 60 euros par semaine. L’entreprise allemande avait sous-traité de la main-d’oeuvre bon marché et sans spécialisation alors que les cinq avaient un contrat de fin d’ouvrage et étaient des opérateurs spécialisés. Eraiki a tardé un mois à régler les trois jours de travail ; ils ont cherché à les faire partir d’ici et c’est pour cela qu’il fallait les soutenir jusqu’à ce que tout soit tiré au clair”.

Igor San José affirme que ce cas a cumulé des irrégularités et il entend qu’Eraiki Prest, sous-traitée par la belge Enova Construction CVBA, a encouru plusieurs infractions qui demandent une enquête. « L’entreprise qui les emploie est d’ici, les contrats ont été passés la veille à Saint-Sébastien et celui de la personne décédée au moment même de les embarquer dans la fourgonnette qui les a emmenés en Allemagne. Les travailleurs n’étaient pas formés pour ce travail, n’avaient jamais travaillé pour cette entreprise et n’avaient pas passé l’examen médical préalable obligatoire. Il y a un foisonnement d’irrégularités ».

Pirates au béret basque

Un autre fait à dénoncer, c’est qu’aucun responsable de Eraiki Prest n’ait accompagné ces travailleurs ni envoyé aucune de leurs ressources à mode de prévention, en les abandonnant à leur sort. “Il n’y avait aucun responsable, quelqu’un aurait dû les diriger” dénonce Igor et il souligne le fait que l’entreprise n’ait signifié le décès du travailleur aux Service d’inspection du travail qu’après la dénonce publique présentée par ELA.

Après la déclaration des compagnons du travailleur décédé il faut attendre maintenant les résultats de l’enquête et l’action de la justice. Igor San José a les choses claires : “Osalan est derrière l’affaire et en contact avec les autorités allemandes. Il faut que les pénalisations soient exemplaires”.

Au-delà du drame humain vécu par ce groupe de travailleurs, Igor San José fait une lecture syndicale et sociale très claire des évènements. “Nous avons parfois tendance à croire que les entreprises basques du secteur bâtiment sont des modèles pour la profession et que ce sont d’autres entreprises, venues d’ailleurs, qui viennent faire ici du dumping social en profitant des besoins des gens. Mais, dans ce cas, nous avons constaté que nos entreprises aussi s’adonnent à ce genre de pratiques et qu’elles acceptent des travaux en France et en Allemagne avec des gens en situation très précaire, sans formation… un bouillon de culture pour les accidents”.

Igor San José sait de toute évidence comment mettre fin à cette situation. “Nous avons une bonne convention. Il faut l’appliquer. Pour les travailleurs d’ici comme pour ceux qui sont amenés par des sous-traitances pirates. Et les institutions doivent s’impliquer dans l’application de la convention à travers des sanctions exemplaires. Parce que souvent ce manquement se traduit par des vies brisées”.